Les amitiés fluides
Article par Caro Desmartin
Illustration par Qianhui Yu
Nos relations sont multiples et élastiques. Qu’elles soient romantiques, amicales, sexuelles, j’aime les visualiser colorées. Ondulant d’une situation à l’autre, d’une personne à l’autre, d’un été à l’autre, d’un feeling à l’autre. Ce genre de fluidité est souvent plus discuté lorsque l’on parle de relations romantiques et/ou sexuelles : polyamour, couple ouvert, one night ... Mais très peu quand vient le temps de l’appliquer à l’amitié.
J’ai eu cette conversation avec une de mes amies, une femme queer que je vais appeler B. On était chez moi et on sirotait une tasse de thé en jasant de cul, de libertinage, de queerness, de compersion... Elle s’est mise à me parler de ce qu’elle appelle ses amitiés sexuelles : de nouvelles amitiés qu’elle a récemment formées avec des personnes intéressées à déconstruire les modèles relationnels dominants. Pour elle et ses ami.e.s, le care1 est LA fondation de ces relations-là.
[Pour moi, l’amitié sexuelle] c’est du fun, de la bienveillance, des connexions profondes et du respect, sans oublier un partage d’activités sociales ou culturelles. Tout ça en s’autorisant à explorer ensemble nos désirs et notre sexualité quand on en a envie, en veillant sur notre santé sexuelle. Non, le sexe n’est pas réservé aux couples et aux one night.
B construit avec soin ses relations d’amitié sexuelle. Elle les nourrit de jeu, de consentement et de communication empathique. À son sens, elles n’ont rien à voir avoir les fameux sex friends qu’on voit dans les films. Elles ne sont pas entièrement tournées vers la sexualité. Parfois, elles prennent la forme d’un peu de sexe et de beaucoup d’amitié. D’autre fois, le centre de gravité s’inverse et le sexe prend plus de place. Elles peuvent même déboucher sur des relations romantiques, sans pour autant former des couples comme la société l’entend. B aime plutôt s’épanouir au sein d’entités fluides et ouvertes, loin du binaire « soit on est en couple ou on est des amis ».
Les amitiés sexu, c’est quand l’intimité et l’amitié se vivent de manière imaginative, hors des scripts prescriptifs que la société veut nous imposer. Pour y arriver, il faut prendre un pas de côté et regarder les choses sous un autre angle — il faut se dire que le sexe, c’est juste un autre moyen d’entrer en contact.
B m’a fait remarquer que quand on a déjà de l’intimité émotionnelle avec quelqu’un, que cette personne nous a vus dans nos états de vulnérabilité, qu’elle nous connaît pour vrai, sans fard ou mascarade, on peut enfin s’éloigner des dynamiques de séduction classiques. Vous savez, celles dans lesquelles on se transforme pour plaire et on choisit notre full self le plus cute possible? Pour B, séduire en étant soi-même, c’est glorieux.
Et que dire de la liberté! Ça semble rafraîchissant, non, de se laisser porter par l’évolution spontanée de nos relations? Pas de cadre prédéfini, pas d’agenda, juste… avancer comme ça nous chante. Plus besoin de chercher à tout contrôler et tenter de prévoir ce qui va se passer dans 6 mois. Plus besoin de s’empêcher de ressentir ce qu’on ressent. Le désir ne se maîtrise pas. Quand c’est là, c’est là : il faut passer à l’action!… tant que ça se fait dans le consentement et la communication, bien sûr.
Ensuite, quoi de plus doux que le plaisir sexuel partagé avec une personne safe space, une personne avec qui on est capable de parler de nos craintes et de nos angoisses? Avec qui on peut vraiment se mettre à nu.
Avec qui on peut vraiment se mettre à nu.
Y a pas que mon amie B qui en parle. Le professeur de philosophie et de cultural studies à l’Université de Bryant, Thomas Roach l’aborde dans son livre Friendship as a Way of Life : Foucault, AIDS, and the Politics of Shared Estrangement. Il écrit : « L’amitié n’a pas de forme, comme une amibe2 , et peut être inventée de A à Z. À l’inverse des relations romantiques et du mariage — qui sont lourdement chargés des scripts et des rituels de séduction cis-hétéros — c’est à nous de créer l’amitié. Et les personnes queers ont été incroyablement innovantes à cet égard. »
Ce genre de décloisonnement dans nos relations est franchement remarquable. Quoi de plus excitant que d’inventer nos propres règles, celles qui nous permettent d’explorer joyeusement et de trouver de nouveaux petits morceaux de nous-mêmes en chemin?
Acceptons-le : nos relations sont multiples et élastiques. Qu’elles soient romantiques, amicales ou sexuelles, j’aime les visualiser colorées, iridescentes, mouvantes. Elles se transforment d’une situation à l’autre, d’une personne à l’autre… d’un été à l’autre… d’un feeling à l’autre… offrant toujours plus de plaisir à partager.
1 Prendre soin de / faire attention à.
2 Une amibe est un être vivant formé d’une cellule unique qui n’a pas vraiment de forme et peut en changer à volonté.
[Pour moi, l’amitié sexuelle] c’est du fun, de la bienveillance, des connexions profondes et du respect, sans oublier un partage d’activités sociales ou culturelles. Tout ça en s’autorisant à explorer ensemble nos désirs et notre sexualité quand on en a envie, en veillant sur notre santé sexuelle. Non, le sexe n’est pas réservé aux couples et aux one night.
-B
B construit avec soin ses relations d’amitié sexuelle. Elle les nourrit de jeu, de consentement et de communication empathique. À son sens, elles n’ont rien à voir avoir les fameux sex friends qu’on voit dans les films. Elles ne sont pas entièrement tournées vers la sexualité. Parfois, elles prennent la forme d’un peu de sexe et de beaucoup d’amitié. D’autre fois, le centre de gravité s’inverse et le sexe prend plus de place. Elles peuvent même déboucher sur des relations romantiques, sans pour autant former des couples comme la société l’entend. B aime plutôt s’épanouir au sein d’entités fluides et ouvertes, loin du binaire « soit on est en couple ou on est des amis ».
Les amitiés sexu, c’est quand l’intimité et l’amitié se vivent de manière imaginative, hors des scripts prescriptifs que la société veut nous imposer. Pour y arriver, il faut prendre un pas de côté et regarder les choses sous un autre angle — il faut se dire que le sexe, c’est juste un autre moyen d’entrer en contact.
B m’a fait remarquer que quand on a déjà de l’intimité émotionnelle avec quelqu’un, que cette personne nous a vus dans nos états de vulnérabilité, qu’elle nous connaît pour vrai, sans fard ou mascarade, on peut enfin s’éloigner des dynamiques de séduction classiques. Vous savez, celles dans lesquelles on se transforme pour plaire et on choisit notre full self le plus cute possible? Pour B, séduire en étant soi-même, c’est glorieux.
Et que dire de la liberté! Ça semble rafraîchissant, non, de se laisser porter par l’évolution spontanée de nos relations? Pas de cadre prédéfini, pas d’agenda, juste… avancer comme ça nous chante. Plus besoin de chercher à tout contrôler et tenter de prévoir ce qui va se passer dans 6 mois. Plus besoin de s’empêcher de ressentir ce qu’on ressent. Le désir ne se maîtrise pas. Quand c’est là, c’est là : il faut passer à l’action!… tant que ça se fait dans le consentement et la communication, bien sûr.
Ensuite, quoi de plus doux que le plaisir sexuel partagé avec une personne safe space, une personne avec qui on est capable de parler de nos craintes et de nos angoisses? Avec qui on peut vraiment se mettre à nu.
Avec qui on peut vraiment se mettre à nu.
Y a pas que mon amie B qui en parle. Le professeur de philosophie et de cultural studies à l’Université de Bryant, Thomas Roach l’aborde dans son livre Friendship as a Way of Life : Foucault, AIDS, and the Politics of Shared Estrangement. Il écrit : « L’amitié n’a pas de forme, comme une amibe2 , et peut être inventée de A à Z. À l’inverse des relations romantiques et du mariage — qui sont lourdement chargés des scripts et des rituels de séduction cis-hétéros — c’est à nous de créer l’amitié. Et les personnes queers ont été incroyablement innovantes à cet égard. »
Ce genre de décloisonnement dans nos relations est franchement remarquable. Quoi de plus excitant que d’inventer nos propres règles, celles qui nous permettent d’explorer joyeusement et de trouver de nouveaux petits morceaux de nous-mêmes en chemin?
Acceptons-le : nos relations sont multiples et élastiques. Qu’elles soient romantiques, amicales ou sexuelles, j’aime les visualiser colorées, iridescentes, mouvantes. Elles se transforment d’une situation à l’autre, d’une personne à l’autre… d’un été à l’autre… d’un feeling à l’autre… offrant toujours plus de plaisir à partager.
1 Prendre soin de / faire attention à.
2 Une amibe est un être vivant formé d’une cellule unique qui n’a pas vraiment de forme et peut en changer à volonté.
Caro Desmartin
Caro écrit sur l’intime et l’invisible des relations pour mettre en lumière de nouveaux modèles et narratifs culturels. Ce qu’elle appelle son devoir d’imagination. Pis des idées de sujets, elle en a autant que le nombre d’onglets ouverts sur son ordi : beaucoup trop. Animée par son bagage en agence créative, où son cerveau est en feu quand il s’agit de décortiquer les tendances sociétales, elle veut raconter les histoires qui se trouvent entre les possibles. Celles que l’on passe sous silence et que l’on raconte peu, voire pas. Désormais membre du CA du Club Sexu, elle participe à la grande mission de cet organisme visant l'éducation à une sexualité positive, inclusive et décomplexée.
